Qualifié d’exceptionnel, l’épisode d’inondations qui a traversé la France en juin dernier et dont le coût d’indemnisation dépasse le milliard d’euros, pourrait tout à fait se reproduire de manière plus fréquente, ont alerté Météo-France et des experts, lors d’une table-ronde sur le sujet organisée à l’Assemblée nationale le 10 novembre. Plusieurs députés, également maires, ont témoigné, réclamant notamment des informations plus claires et plus précises en période de crise et davantage de moyens pour l’entretien des rivières.

 

Comment sortir plus intelligent d’une crise ? A chaque événement d’ampleur, la question se pose aux collectivités désireuses d’être mieux préparées au risque inondation. « L’engouement pour cet enjeu est très net », confirme Emma Haziza, fondatrice du bureau d’études Mayane, qui travaille aussi bien avec elles qu’avec les services de l’Etat. Le 10 novembre, cette experte a participé à la table-ronde organisée sur le sujet par la commission du développement durable de l’Assemblée nationale. Les parlementaires présents se sont montrés particulièrement remontés contre les services de l’Etat. Une quinzaine d’entre eux, également maires, ont témoigné des dégâts causés par ces inondations de juin dernier sur leurs territoires.

Des élus témoignent

« Une centaine de communes ont été touchées. Du jamais vu dans ma circonscription ! », relate Jean-Jacques Cottel, député socialiste du Pas-de-Calais. Evacuation des déchets occasionnés, dégâts sur les routes et les habitations, procédures d’indemnisation : « Alors que les collectivités sont démunies, les aides promises se font attendre », déplore cet élu maire de Bapaume, une petite ville de 4.000 habitants. Même constat à Nemours, en Seine-et-Marne. Cette ville très touchée se reconstruit, répare des dégâts qui se chiffrent en millions d’euros. « Il y a des problèmes d’assurance, de franchise. Sur le plan psychologique, lors de la gestion de crise, les habitants ont eu le sentiment que leur territoire a été sacrifié pour éviter que Paris ne soit inondé », indique la députée-maire (LR) de cette ville, Valérie Lacroute. A sa demande une mission d’inspection générale y a été impulsée par les ministères de l’Environnement et de l’Intérieur. Elle est en cours pour faire le point sur la manière dont  a été géré – sous tous ses aspects possibles – l’avant, le pendant et l’après-crue du Loing, cet affluent gauche de la Seine qui traverse Nemours. Ses conclusions devraient être remises fin novembre. « J’espère que ce rapport, très attendu des élus locaux, mettra en évidence la chronologie des faits et démentira ce sentiment collectif », ajoute l’élue.

Rester vigilant

En termes de politique de prévention, d’autres leçons sont à tirer. « L’écueil serait de classer cet événement comme exceptionnel et de mal en tirer les leçons, alors qu’il y a matière à progresser. L’intensité du phénomène a été en grande partie due à une conjugaison de facteurs météorologiques, une dépression atmosphérique faisant du surplace au-dessus de l’Allemagne, des retours de pluies venant du Nord, un air chaud et humide puis cinq jours de précipitations en continu, sur des sols déjà gorgés d’eau. D’autres événements de cette nature peuvent se produire et l’exceptionnel devenir plus fréquent », prévient Jean-Marc Lacave, président-directeur général de Météo-France. « D’autant qu’on observe dans l’historique des crues des phénomènes de récurrence et de piqûres de rappel qui peuvent se reproduire », appuie Emma Haziza.

 

Vigilance météo : à quand un peu d’air frais ?

Pour Jean-Marc Lacave, « il est donc temps de progresser, en commençant par moderniser la procédure de vigilance météorologique, qui date et conserve une nature très institutionnelle. Elle est plus destinée à communiquer vers les préfets que vers les maires et leur population ». Des élus critiquent le manque de clarté et de précision des informations transmises. « Alertes de fortes pluies, vigilance jaune ou orange, messages de Vigicrues, nous recevons en tant qu’élus de la part des préfectures des alertes en tous genres sur nos téléphones. C’est difficile à comprendre. Et lorsque l’alerte rouge est arrivée chez nous, j’avais déjà de l’eau jusqu’à la taille ! », raconte Valérie Lacroute. « Il y a toujours des fax envoyés, les contenus sont parfois ésotériques et les destinataires pas forcément exhaustifs. A l’heure du smartphone, du data et de la géolocalisation, on peut faire mieux », reconnaît Jean-Marc Lacave. « D’importants progrès ont été faits. Dans les années 2000, il n’y avait ni vigilance météo ni informations transmises à la population », nuance Emma Haziza.

Des outils… à faire connaître

En termes d’outils, la marge de progrès concerne la modélisation numérique de l’atmosphère. Pour mieux cerner d’autres phénomènes de pluies intenses, comme ceux qui font régulièrement des dégâts sur le pourtour méditerranéen, Météo France développe ainsi un nouveau modèle, en test pré-opérationnel jusqu’au printemps 2017, avant d’être intégré à ses outils prévisionnels. « Il y a énormément d’outils mais il faut les mettre en adéquation et les rendre opérationnels. Nombre de maires ne connaissent pas l’ensemble des dispositifs en place et parfois uniquement disponibles sur abonnement. Il faut plus de dialogue entre les experts, les gens du terrain et les élus. Je conseille aussi aux maires de s’informer gratuitement sur les réseaux sociaux, où des communauté d’acteurs sont très actives sur le sujet », glisse Emma Haziza.
Par ailleurs, un travail s’engage entre les services du ministère de l’Environnement et les syndicats de communes pour élargir le dispositif Vigicrues. En effet, le fait que des cours d’eau échappant au système en place de surveillance aient beaucoup débordé durant ces inondations n’a pas manqué d’interroger les acteurs du secteur. « Il faut aussi fiabiliser les stations de mesure et continuer de faire des exercices de simulation de crues. Elaborer un plan communal de sauvegarde (PCS), c’est bien mais il doit être testé, révisé, pour s’assurer de son caractère opérationnel », ajoute Marc Mortureux, directeur général de la prévention des risques au ministère de l’Environnement.

Prise en compte du risque dans l’aménagement

Des communes commencent à tenir compte des inondations dans leurs aménagements et documents d’urbanisme. Exemple mis en avant, celui d’un quartier de la ville de Romorantin (Loir-et-Cher). Un ensemble d’immeubles y a été construit en 2011 en intégrant l’aléa possible d’une crue. Ses qualités de résilience ont été démontrées. « Il faut réaliser des aménagements allant dans ce sens, plus intelligemment et en tenant compte des gros problèmes que pose le ruissellement », estime Jean-Jacques Cottel, député du Pas-de-Calais. « Et arrêter d’urbaniser n’importe où ! Dans ma circonscription, c’est le cas dans le lit majeur de la rivière Oise, non sans l’accord des services de l’Etat ! », cite Patrice Carvalho, député de l’Oise et maire de Thourotte. « Les Papi, PPRI*, PCS représentent de réelles avancées. En cas de crise, les cellules réunies autour des préfets sont bien plus efficaces qu’auparavant. Il n’empêche qu’on observe un affaiblissement dans l’administration de la culture du risque », complète Philippe Duron, ancien maire de Caen et député socialiste du Calvados.

Entretenir les rivières

Pour Yves Albarello, député-maire (LR) de Claye-Souilly, en Seine-et-Marne, les élus locaux sont confrontés à un manque de moyens pour entretenir leurs rivières. « Or c’est un enjeu crucial pour prévenir les inondations. La loi sur l’eau complique les choses en n’autorisant pas le dépôt de limon sur les berges. Notre syndicat de rivière n’ayant pas les moyens de payer pour leur traitement, nous pratiquons le curage en toute illégalité et sommes verbalisés par l’Onema [Office national de l’eau et des milieux aquatiques, ndlr], considérés comme des délinquants hydrauliques, alors même que nous faisons cela pour améliorer l’écoulement et protéger les habitants ». Par le biais d’une déclaration d’intérêt général (DIG), il est possible pour une collectivité de légitimer son intervention et de faire curer une rivière. « Nous le pratiquons mais c’est une procédure lourde à gérer et qu’il faut absolument simplifier », conclut Martial Saddier, député (LR) de la Haute Savoie.

Morgan Boëdec / Victoires éditions

 

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